1 tonne d’eau par kilo de blé. Et alors ?

L’agriculture et l’eau : voilà bien un sujet face auquel la société, en manque de repère sur les réalités agricoles, a souvent du mal à distinguer le bon grain de l’ivraie. Des propos tels que « l’agriculture prélève 70% de l’eau au niveau mondial » ou « il faut 1 tonne d’eau pour faire un kilogramme de blé » sont régulièrement affirmés par des cassandres plus désireux de produire de l’émotion que de donner à comprendre pour responsabiliser. Je reviendrai dans un prochain article sur la question de la part de l’eau prélevée par l’agriculture. J’évoquerai ici celle de la quantité d’eau nécessaire pour produire du blé et vais essayer d’expliquer pourquoi, derrière cette phrase, « il faut 1 tonne d’eau pour faire un kilogramme de blé », il ne faut pas chercher de raisons de s’inquiéter mais, au contraire le constat d’une situation tout à fait naturelle et même plutôt encourageante.

Considérons ces quelques éléments.

La ferme de Grignon est, depuis plus de 150 ans, la ferme associée à l’école d’agriculture de Grignon. Elle est aujourd’hui la ferme expérimentale d’AgroParisTech (http://www.agroparistech.fr).

Située dans les Yvelines, elle est donc soumise aux conditions climatiques de l’ouest de l’Île de France. Chaque année, c’est environ 650 mm de pluie qui arrosent ses champs. Si toute cette eau devait s’accumuler tout au long de l’année nous finirions l’année en barque. 65 cm de profondeur d’eau, c’est déjà une petite piscine.

Sur 1m2 de surface, cela représente 650 litres d’eau et sur 1 ha, 10 000 m2,  6 500 000 litres d’eau. 6 millions et demi de litres d’eau tombent donc chaque année, en moyenne, sur chacun des hectares de notre ferme de Grignon. 6500 tonnes d’eau, c’est déjà un bel arrosage : c’est le contenu d’environ 2 piscines olympiques (information wikipedia).

Dans le même temps, sur ceux de ces hectares où nous avions semé du blé, nous avons récolté 65 quintaux de blé en 2007. Sans être exceptionnel, ce rendement est assez représentatif de ce que l’on obtient actuellement dans des exploitations agricoles conduites de façon conventionnelle en Île de France. Cette production n’est pas irriguée. Sa seule ressource en eau c’est celle qu’elle trouve naturellement dans son environnement. Ce qu’on vient de voir montre qu’elle y est déversée en quantité.

Ces 65 quintaux de blé récoltés par hectare, c’est 6500 kg de grain. 6500 m3 d’eau fournis généreusement par le climat francilien et 6500 kg de grain produits généreusement par nos champs : ça fait 1 tonne d’eau par kg de blé (1m3 d’eau pèse 1 tonne). Voilà, tout est dit.

Pour aller plus loin.

Cette valeur de 1 tonne d’eau par kilo de blé, souvent présentée comme l’illustration de l’impact négatif de l’homme sur la nature, n’est en fait que l’illustration d’un équilibre tout à fait naturel. Elle est la preuve d’une domestication de la nature assez bien réussie et, sur ce point sensible qu’est la ressource en eau, la démonstration que l’agriculture moderne est, plus qu’on ne le pense, dans un équilibre satisfaisant à l’égard de son environnement.

Pour aller encore plus loin.

On doit même accepter de prolonger le raisonnement. Au début des années 50, le climat était assez comparable à ce qu’il est actuellement. La pluviométrie y était équivalente à celle que nous connaissons actuellement. Nous avions déjà droit à nos 6500 tonnes d’eau par hectare et par an. Par contre, l’agriculture était moins performante qu’aujourd’hui. Le potentiel génétique des plantes cultivées, les techniques culturales et la fertilisation étaient moins bien maîtrisés qu’actuellement. Le rendement du blé n’était encore que de 50 quintaux par hectare.

C’était donc plus d’une tonne d’eau qu’il fallait pour faire un kilo de blé. En cette époque « ancienne » où l’on voyait dans l’agriculture l’espoir de nourrir une population qui gardait à l’esprit les privations de la guerre et où on n’évoquait pas encore les « méfaits de l’intensification », la production du blé était bien moins économe en matière d’eau. Chaque kilo de blé produit à l’époque consommait 30 % de plus d’eau qu’il n’en consomme aujourd’hui.

Quel autre regard peut-on donc avoir sur cette réalité qui nous fait constater que « il faut 1 tonne d’eau pour faire un kilogramme de blé » ? Un regard définitivement positif. Celui du constat que cette réalité, loin d’être le signe d’une valorisation inconsidérée de la nature par l’homme, est en fait la preuve d’une relation de plus en plus efficace et la démonstration que l’agriculture est engagée dans une dynamique de progrès porteuse d’espoirs pour l’humanité. Soyons donc collectivement attentifs à ne pas décourager et démotiver les acteurs de ces progrès par des critiques infondées et par la mise en place d’obstacles qui réduiraient leur capacité d’initiative.